Beat Generation
22 juin - 3 oct. 2016
Centre Pompidou, Paris
Le Centre Pompidou présente « Beat Generation », une rétrospective inédite consacrée au mouvement littéraire et artistique né à la fin des années 1940 et étendant son influence jusqu’à la fin des années 1960.
Entretien avec Jean-Jacques Lebel, co-commissaire de l’exposition
Peut-on parler de « filiation » entre surréalistes et écrivains beat ?
On ne peut pas parler de filiation mais plutôt invoquer les affinités concrètes entre l’écriture automatique des surréalistes et la « spontaneous prose » ou la « spontaneous Bop prosody » de Kerouac. Quant à Carl Solomon – dédicataire de Howl, poème-manifeste de Ginsberg – il s’est identifié à Artaud après la tragique séance du théâtre du Vieux-Colombier où ce dernier, en 1947, a vécu en public une crise psychotique. Solomon en fut bouleversé au point de se faire interner dès son retour à New York en exigeant qu’on lui administre des électrochocs, comme Artaud. En 1943, alors qu’il n’avait que quinze ans, le poète Philip Lamantia, cofondateur du mouvement beat, écrivit à André Breton pour lui signifier son adhésion au surréalisme et lui envoyer des poèmes aussitôt publiés dans la revue surréaliste new-yorkaise View. Bob Kaufman et Ted Joans, beatniks afro-américains se sont réclamés du surréalisme. Certains textes de McClure, de Corso, de Ferlinghetti, ont une forte saveur surréaliste. Il s’agit de connexions rhizomiques, pas de démarquages. Les sources de la poésie beat ne sont pas exclusivement américaines, mais au contraire très variées, transculturelles et souvent asiatiques.
L’exposition présente l’étape parisienne des artistes beat, pouvez-vous nous éclairer sur ce moment de l’histoire du mouvement ?
L’essentiel de ce que les poètes beat sont venus chercher à Paris est résumé dans la photo de Ginsberg assis sur son lit au Beat Hotel, rue Gît-le-Cœur, sous une reproduction du portrait de Rimbaud par Fantin-Latour et l’affiche d’une exposition Cézanne. Le Rimbaud d’Une saison en enfer fut pour eux un « phare », au sens baudelairien. Quant à Cézanne, Ginsberg explique qu’il a voulu transposer dans sa prosodie la méthode spatio-analytique du peintre. Burroughs a parachevé ses « scrapbooks » et écrit plusieurs livres au Beat Hotel. Gysin y a inventé le cut-up et sa dreamachine. Ferlinghetti a passé sa thèse sur Prévert à la Sorbonne. Corso a écrit des textes majeurs à Paris et à Amsterdam. Il est temps de lever l’interdit que certains exégètes universitaires américains chauvins ont fait peser sur Paris et l’Europe. La présente exposition complète et amplifie celle que j’ai organisée en 2013-2014 au Centre Pompidou-Metz et dans quatre autres musées européens. Nous remettons les pendules à l’heure à la façon de Desnos : « Poème, je ne vous demande pas l’heure qu’il est, Je vous la donne. »
Vous avez été l’un des acteurs du mouvement et un trait d’union avec les États-Unis ? Comment y avez-vous pris part ?
En tant que traducteur d’abord – Ginsberg m’ayant mis à contribution dès notre rencontre en 1957 – puis en tant qu’organisateur de lectures publiques et ami de Corso, de Ferlinghetti, de McClure, d’Orlovsky et de Ginsberg lui-même. Dès 1958, j’ai présenté Ginsberg, Corso, Burroughs et Gysin à mes proches : Duchamp, Man Ray, Péret… Mon Anthologie de la poésie de la Beat Generation est parue en 1965, grâce à Maurice Nadeau, et c’est en ayant la surprise de lire sur les murs de Paris en mai 1968 de longues citations de mes traductions de Howl, taguées anonymement, que j’ai pris conscience de l’énorme impact que cette poésie avait eu. Elle s’est envolée de la page imprimée pour se transformer en acte dans le champ social. « La poésie doit être faite par tous. Non par un » écrivait Lautréamont. Ce rêve était devenu réalité, enfin !
Jean-Jacques Lebel
Source :
in Code Couleur, n°25, mai-août 2016, p. 45